Un bel article de blog

« Une belle journée avec France Bleu » : c'est par cette phrase que, de retour en France après plus de 10 ans d'absence, je constatai avec effroi combien une langue et ses habitudes changent, et changent vite. Aux orties, la bonne journée ! Aujourd'hui elle se doit d'être « belle » : chronique d'un monde matérialiste.
Everything is beautiful
Quel est le point commun de ces tournures de phrases : de belles vacances, un beau parcours professionnel, un bel été ensoleillé (ou pas), un beau film, un beau produit, une belle réussite, voire – celle qui me hérisse le poil au plus haut point – une belle personne ? Il faut avouer que, pour une société envahie de groupuscules qui réclament à corps et à cris la fin du diktat de la beauté, c’est un comble.

Cela rejoint-il la tendance actuelle à faire précéder la plupart des noms de « petit » pour les rendre plus acceptables (cf. cet article) ? Une petite réunion, un petit dîner, une petite surprise, un petit remontant ? Et pourquoi pas un grand ?
Le règne du superlatif court
Prenons l’exemple assez parlant de la « journée » : déjà, souhaiter une « bonne journée » ne coulait pas de source. Pourtant, ça faisait toujours plaisir : on aurait pu ne rien vous dire, et pourtant on vous la souhaite bonne. On a vu alors çà et là poindre des variantes plus ou moins heureuses, telle cette « excellente journée », face à laquelle je suis toujours resté perplexe : dévouement extrême ou mépris à demi caché ? Heureusement, avant même qu’on ne me souffle la réponse, la journée est devenue « belle »… comme le jour ?

Je penche plutôt pour la thèse suivante : une langue cherche toujours à évoluer, tel un Œdipe de masse. On le remarque avec la désuétude dont sont frappées les expressions les plus en vogue des dernières décennies : qui est encore bath, branché, voire chébran ou même in ? Chaque génération se doit de se démarquer de celle d’avant, notamment en utilisant des termes différents, au mieux plus courts. Alors le beau, mieux que le bon ? Daigne-t-on imaginer un film au titre aussi racoleur que « Le beau, la brute et le truand » ? Voilà qui n’augure rien… de bon.
Licence poétique au rabais
Enfin, il reste encore une hypothèse : doit-on y voir l’influence d’un cercle de poètes malheureusement non disparus ? Je pense au titre-phare de la comédie musicale Notre-Dame de Paris, ou encore à Maître Gims et son célèbre Bella qui envahit il y a peu les cours de récré ? À ce jeu-là, Belle, belle, belle avait déjà montré la voie. Alors, d’où cela vient-il ?
Personne ne le saura jamais vraiment : les modes ont ceci de particulier qu’on en ignore souvent les causes, et qu’elles s’en vont comme elles sont venues.
Et, devant cette déferlante de beauté, permettez-moi de vous souhaiter un GRAND été.
M.T.
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